Différence de phénologie des chênes.

Le pôle toulousain de recherche publique en télédétection est surtout connu sur la thématique forestière grâce à la mission BIOMASS, qui sera lancée vers 2021 et qui est portée par le CESBio, mais qui concerne surtout les forêts tropicales. L’objectif de cet article est de présenter les travaux en cours sur les forêts tempérées, dans le contexte de la France métropolitaine, qui sont portées en synergie par l’UMR Dynafor (collègues INRA, Ensat et EI Purpan) et par l’UMR CESBio. En effet, 4 thèses sont actuellement en cours dont 2 qui seront soutenues fin 2019. Le point commun à ces 4 thèses comme aux travaux qui les ont précédées est l’utilisation de séries temporelles, d’abord basse résolution (Modis), puis, depuis 2015, en haute résolution spatiale avec Sentinel 1 et 2 (‘S1’ et ‘S2’).

Différence de phenologie entre chênes
Figure 1. Différences de phénologie entre espèces de chênes.

Pour mémoire, les principaux travaux ont commencé avec les données Modis suite à la sécheresse de 2003 et aux mortalités importantes de douglas et de sapins dans la Montagne Noire et les monts de Lacaune (EI Purpan). Cette thématique, en lien avec les impacts du changement climatique, a été reprise dans les années 2010-2014 dans le cadre de l’OPCC (Observatoire Pyrénéen du changement climatique) et de la thèse de Jonas Lambert (dépérissement du sapin dans les Pyrénées). D’autres travaux, toujours sur les Pyrénées, ont porté sur les aspects cartographiques des forêts (classes feuillus et résineux puis classes plus détaillées des types forestiers), soit à basse résolution spatiale Modis (cf thèse E Cano, EI de Purpan ), soit avec quelques dates d’images Landsat 5 et 7 (Cesbio).Depuis 2016, ce sont donc les séries temporelles à haute résolution spatiale S1 et S2 qui sont à l’honneur, sur les sujets de cartographie des peuplements (différenciation des espèces) comme de l’estimation de variables de structure des forêts (hauteur, volume…), après avoir exploré également l’apport des séries FORMOSAT-2 aux caractéristiques très similaires (publication).

Thèse n°1. Télédétection Hypertemporelle des Essences Forestières. Nicolas KARASIAK, Dynafor (Oct 2016 à Oct 2019).

Thèse encadrée par : Claude Monteil (Dynafor), David Sheeren (Dynafor) et Jean-François Dejoux (CESBIO). Financement Ministère (MESR). L’objectif de cette thèse est de mettre au point une démarche pour classer automatiquement les essences forestières sur de grandes étendues. L’hypothèse est que les séries temporelles de Sentinel2 permettent d’appréhender les variations saisonnières de la végétation (ce qu’on appelle en botanique la phénologie) et donc, prédire les différentes espèces. Voici un exemple simple de cet apport : pour séparer les feuillus qui perdent leur feuilles à l’automne alors que les résineux restent verts toute l’année, il est préférable d’avoir des dates hivernales dans sa série temporelle d’images satellite.Pour vérifier cette hypothèse, un important suivi de terrain a été effectué sur 2 saisons entières, dans la zone OSR / VENµS au sud-ouest de Toulouse sur 7 espèces de feuillus différents (chêne sessile, chêne rouge, saule, robinier, frêne, peuplier et bouleau ; 2 placettes par feuillus). Les différentes mesures de terrain sont analysées en relation avec les variations d’informations obtenues sur les séries de données Sentinel2. Les écarts de saisonnalité entre ces 7 espèces de feuillus ont été significatifs, ce qui permet d’évaluer l’apport de la phénologie dans la cartographie des essences. Il s’agit maintenant de comprendre jusqu’à quel point le signal reçu par le satellite est influencé par l’évolution saisonnière de l’arbre (ouverture/fermeture de la canopée, coloration et chute des feuilles). D’autres axes de recherches sont explorés dans cette thèse, comme (i) la valorisation de 9 années d’archives Formosat sur cette zone OSR (2006 à 2014) : test et analyse des stabilités de classification entre années, analyse des problèmes d’autocorrélation spatiale ; (ii) étude de la transférabilité des modèles  et de leur capacité prédictive sur de grands territoires (adaptation de domaine).La figure 1 illustre la différence de phénologie entre deux espèces de chênes (Chêne des marais à gauche, et Chêne sessile à droite). Les écarts de phénologie peuvent être importants à certaines périodes de l’année. Ce cas concret montre la complexité de cartographier les essences depuis un satellite : parfois les écarts entre deux espèces d’un même genre sont plus importants comme c’est le cas sur ces photos qu’entre deux genres différents (un chêne et un bouleau par exemple).

Phénologie de la canopée.
Figure 2. Evolution de la canopée des forêts au fil de l’année.

La figure 2 illustre l’évolution de la canopée des forêts au fil de l’année. En été, elle sera la plus dense, ce qui signifie que le signal reçu par le satellite ne sera que peu ou pas affecté par le sous-bois. Cependant, au printemps ou en hiver les végétations qui se situent sous les arbres dominants seront d’autant plus visibles, ce qui signifie par exemple que les fougères ou le fragon peuvent influencer le signal de l’image.

Thèse n°2. Estimation et suivi de la ressource en bois en France par valorisation de séries temporelles optique et radar. David MORIN, CESBio, (Oct 2016 à Oct 2019).

Thèse encadrée par : Gérard Dedieu et Milena Planells (CESBio).Financement Ademe-CNES. L’objectif de cette thèse est de mettre en place et évaluer une méthode pour l’estimation et la cartographie de variables de structure des forêts (biomasse, surface terrière, diamètre moyen, hauteur, densité d’arbres, etc.) avec des images satellites en libre accès ayant une couverture nationale (cf Spot6/7, Theia Geosud, France) ou globale (Alos, S1, S2). Les premiers résultats sur des plantations de pin maritime dans les Landes sont très prometteurs, avec des erreurs de 10 à 25 % selon les variables. Ces résultats sont en train d’être confirmés sur des forêts plus complexes avec des mélanges de feuillus et conifères. La chaîne de traitement est mise en place sur la base de logiciels open-source et de traitements semi-automatiques. Une originalité de cette thèse est est l’utilisation combinée de de séries temporelles optique et radar (Sentinel1 et 2) et de données annuelles radar (Alos) et optique à haute résolution spatiale (Spot6 ou 7 à 1,5m ou 6 m de résolution).

Signal Resolution Frequency Coverage
ALOS-2 (JAXA) SAR L-band 25m Annual Global
Sentinel-1 (ESA) SAR C-band 10-20m Weekly Global
Sentinel-2 (ESA) Optical Vis-NIR-SWIR 10-20m Weekly Global
Spot-6/7 (CNES) Optical Vis-NIR 1.5-6m Annual France

De nombreuses informations peuvent être extraites à partir de ces images :

  • le coefficient de rétrodiffusion radar en bande L (ALOS-2) : avec une longueur d’onde de ~27cm, les ondes traversent la canopée et fournissent des informations sur la structure des troncs et des grosses branches,
  • le coefficient de rétrodiffusion radar en bande C (Sentinel-1) : avec une longueur d’onde de ~5cm, les ondes pénètrent moins dans la canopée mais donnent des informations sur la structure du houppier (feuilles et petites branches),
  • les données optique (Sentinel-2 et Spot-6/7) donnent des informations sur la pigmentation des feuilles au sommet de la canopée (activité de la végétation) et son évolution dans l’année grâce aux séries temporelles de Sentinel-2,
  • à partir des différentes images à 10m, 6m ou 1,5m de résolution spatiale on peut extraire des indices de structure spatiale (chaque pixel est décrit par l’organisation des pixels voisins), ce qui donne des informations sur la structure des houppiers et de la forêt.

L’estimation des variables de structure forestière (biomasse, surface terrière, diamètre moyen, hauteur, densité d’arbres, etc.) est basée sur des algorithmes d’apprentissage automatique entre les données de référence (mesurées sur le terrain) et les données satellitaires. La figure 1 montre la validation de ces estimations pour la surface terrière (BA basal area, Fig.1a) et le diamètre moyen à 1m30 (DBH, Fig.1b) pour différentes essences dominantes dans des forêts des Landes, d’Orléans et de Saint-Gobain (près de Compiègne).

 (a)  (b)

Figure 1. Basal Area and DBH validation scatterplots. SVR used with features types from Sentinel-1, Sentinel-2, ALOS-PASAR and Spot-6. Une fois ces modèles construits et validés, l’objectif est de spatialiser ces informations sur les forêts où nous n’avons pas de mesures. La Figure 2 montre un exemple de carte de la biomasse sur le site d’étude des Landes. Le modèle est appliqué sur les données satellitaires avec un masque « conifères » à partir de la carte Occupation du sol THEIA ‘OSO’ 2016. Figure 2. Aboveground biomass (AGB) map covering the Landes site area. Pixel level application of the SVR (Support Vector Regression) with features types from Sentinel-1, Sentinel-2, ALOS-PASAR and Spot-6. Non coniferous pixels are masked using the 2016 land cover map (Inglada, 2016) Sur les autres sites et essences, les résultats montrent que la précision est meilleure lorsqu’on différencie les essences dominantes pour construire les modèles. Une étape de classification sera donc nécessaire pour obtenir cette information et appliquer les modèles par essences. Ce travail se fera à partir des séries temporelles Sentinel-1 et Sentinel-2, avec un algorithme d’apprentissage automatique de type Random Forest. Il bénéficiera aussi des avancées de la thèse de Nicolas KARASIAK.

Thèse n°3. Identification et suivi des peupleraies sur de grands territoires. Yousra HAMROUNI, DYNAFOR, (Oct 2017 à Oct 2020).

Thèse CIFRE encadrée par : Claude Monteil, Véronique Chéret et David Sheeren (Dynafor) en collaboration avec le CNPF/IDF (Eric Paillassa)Financement Conseil National du Peuplier. Le peuplier est la première essence de feuillus plantée en France. Il est exploité pour la qualité de son bois et sa croissance rapide. Actuellement, le rythme de mise à jour des données cartographiques nationales est insuffisant pour le suivi de cette ressource, le peuplier étant une essence à cycle court (15  ans). L’arrivée des satellites Sentinel-1/2 offre une bonne opportunité d’étudier les capacités de la télédétection à localiser les peupleraies et suivre leur évolution. L’objectif de cette thèse est de détecter les plantations sur de grands territoires et de les caractériser (classes d’âges, phénologie). A terme, il s’agira aussi de suivre les peuplements et de détecter les coupes.Les premiers résultats obtenus montrent une performance de classification élevée, avec une bonne capacité à transférer le modèle appris d’un site populicole à l’autre, en l’enrichissant et en l’adaptant progressivement. L’apport des données radar en complément des données optiques s’avère limité pour la détection proprement dite mais les séries Sentinel-1 devraient révéler tout leur potentiel pour  différencier les jeunes plantations des plus âgées et cartographier les coupes.

A terme, l’objectif est d’enrichir le produit annuel THEIA Occupation du sol (‘OSO’) en y ajoutant une nouvelle classe Peuplier au sein des feuillus.  Thèse n°4. Jean-Philippe Denux, EI Purpan – DYNAFOR. à venir.  Contexte de ces travaux de recherche. L’ambition de ces thèses est de mettre au point des méthodes et des démarches reproductibles pour produire de manière spatialisée, régulière (chaque année…) et peu coûteuse (car le plus automatique possible) des couches d’information utiles (distinction des essences forestières, variables de structure des forêts…) aux scientifiques thématiciens (climat, carbone, cycle de l’eau, biodiversité, paysage…) et aux gestionnaires de la forêt. A terme, ce serait donc la possibilité de mettre à jour de nombreuses informations forestières sur tout le territoire.Les organismes techniques et professionnels de la forêt et des scientifiques de plusieurs laboratoires ont été associés et informés par ces travaux. Plusieurs spécialistes de l’ONF, CNPF-IDF, ONF, INRA… participent aux différents comités de pilotage de ces 4 thèses.Les liens avec les organismes sont divers. Outre la définition des sujets et des problématiques, et l’apport d’expertises, ces organismes peuvent largement aider ces travaux en fournissant des données de terrain géoréférencées. Ce point constitue souvent un verrou crucial. La filière peuplier d’une part, l’INRA de Bordeaux et l’ONF ont été les principaux contributeurs en données de références terrain et nous les remercions vivement. Après ces thèses, la possibilité de disposer des données des placettes IFN-IGN sera particulièrement utile pour poursuivre et valider ces travaux.Ces travaux ont aussi de nombreux liens avec les CES et produits THEIA (réflectances, ‘OSO’ Occupation du sol, Forêts bien sûr, humidité des sols, etc…), comme utilisateurs de produits THEIA mais aussi de par les perspectives d’amélioration des produits actuels ou futurs ‘(‘OSO’ Occupation du sol, biomasse des Forêts…). Ces résultats pourront peut-être aussi aider à certaines productions comme la production de la base de données des forêts v2 gérée par l’IGN. Au moins 2 publications sont prévues dans chaque thèse ; les 1ères publications vont être soumises en février ou mars 2019. Les soutenances des 2 premières thèses auront lieu fin 2019 à Toulouse. Afin de favoriser la diffusion des résultats, il est envisagé d’organiser une journée de valorisation/transfert fin 2019 ou début 2020 dans le cadre de l’ART Occitanie. De plus, CESBio et Dynafor souhaitent continuer cette dynamique de recherche par de nouveaux projets ou thèses.

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